Touba et Mbacké : contrastes vestimentaires à deux jours du Magal
Il est 11 heures passées, et la ville fourmille d’activité. Les femmes portent des sacoches à l’épaule ou des sacs à main, chaussées de sandales, tandis qu’elles défilent en groupes. Venant de diverses régions, elles se conforment scrupuleusement aux instructions du Khalif général des Mourides, Serigne Mountakha, qui interdit catégoriquement le port d’habits indécents et l’utilisation de cheveux naturels ou de mèches artificielles.
Les « Baye Fall », désignés comme gardiens du « Ndigueul », veillent à son application stricte. Les hommes ne sont pas épargnés, ceux qui osent arborer des coupes de cheveux « dégradées » sont immédiatement rasés par les « Baye Fall ». En ce qui concerne leur tenue vestimentaire, ils optent pour des habits traditionnels tels que des caftans et des « thiayas (pantalons amples en tissu) », bien qu’on puisse occasionnellement observer des tenues occidentales, comme des t-shirts et des jeans.
Dans cette atmosphère, les pèlerins affluent avec des valises sur la tête, se hâtant vers leurs véhicules. À deux jours seulement du grand Magal de Touba, la ville se remplit d’une foule venant de toutes parts et horizons. Les charrettes, les cars surchargés, les bus et les « jakartas » contribuent à créer une ambiance festive, malgré les récentes inondations qui persistent dans certains quartiers.
Les jeunes femmes, tout en respectant les règles, doivent faire face aux défis posés par les flaques d’eau, relevant leurs robes pour éviter de les mouiller. À Darou Marnane (quartier populeux de Touba), on aperçoit un groupe jeunes filles en difficultés avec leurs robes. Sur un ton taquin, l’une d’entre elles affirme que le Magal ne sera pas une promenade de santé : « Avec la chaleur et les eaux, cela ne sera pas facile. Nous nous habillons décemment parce que nous ne voulons pas avoir de problèmes avec les Baye Fall. » Une de ses amies ajoute avec approbation : « Je ne veux pas me faire frapper ou raser, j’ai vu les vidéos sur TikTok, et cela m’a fait peur. Étant donné que notre séjour pour le Magal dure moins d’une semaine, nous allons respecter les consignes. » Ces jeunes femmes, venues de Dakar, arborent des robes amples et couvrent soigneusement leur tête.
Sous le soleil brûlant, les fidèles habillés de leur « baylatt (tenues traditionnelles prisées par certains hommes mourides) » ne semblent pas trop gênés par la chaleur, tandis que d’autres préfèrent se protéger du soleil avec des parapluies. Au sein de la foule, trois jeunes hommes transportent un ventilateur pour se rafraîchir. À Mbacké, une ville voisine de Touba, le code vestimentaire diverge notablement. Les femmes portent des robes à manches courtes et serrées, déambulant librement sans craindre les regards désapprobateurs.
Ici, les femmes jouissent d’une plus grande liberté, arborant des jupes fendues et parfois laissant leur tête nue. Parmi elles, certaines portent des habits dotés de lacets dans le dos, dévoilant leur dos et affichant des décolletés plongeants. Elles n’hésitent pas à utiliser des faux cils, malgré la surveillance des « Baye Fall ». Une jeune fille d’une quinzaine d’années, valise sur les genoux, se montre insouciante lorsqu’on l’interroge sur les risques encourus si un « Baye Fall » l’attrapait. Elle rit sous cape et déclare qu’ils ne la verront pas, précisant qu’elle portera un voile pour se dissimuler si besoin est.
« Mbackè n’est pas Touba…»
Dans le tumulte des arrivées et de l’ambiance animée de Mbacké, certaines jeunes filles arborent des tresses de mèches. L’une d’elles, vêtue d’une robe en wax courte, explique que cette tenue est tout à fait tolérée à Mbacké, mais interdite à Touba. Elle souligne que cette différence est manifeste, car elle n’est pas la seule à adopter ce look non autorisé dans la ville sainte.
Coiffures de mèche, jupes et jeans sont la norme ici, de même que les combinaisons. En revanche, les voiles et les foulards sont principalement portés par les femmes plus âgées. À Mbacké, les « Baye Fall » semblent avoir moins d’autorité qu’à Touba, comme le confirme Aïda Mbengue, une jeune femme de vingt ans résidant dans la région : « Dans cette partie, les Baye Fall ne réglementent pas ce que nous portons. Parfois, ils font des remarques à certaines filles, mais c’est tout. Le maquillage, les faux cils, les cheveux naturels, etc., sont tolérés. »
Pour les fidèles qui se dirigent vers la grande mosquée de Touba via le Marché Central De Touba (Ocas), le chemin est semé d’embûches. Chaque personne s’engageant sur cette voie pour la prière est scrutée de près par les « Baye Fall ». Aucun vêtement indécent n’est accepté, et ceux qui tentent de se soustraire à ces règles subissent immédiatement les conséquences. Un jeune homme rencontré sur place met en garde : « Celui qui essaie de faire le fou ici se fait raser ou est conduit au poste de police du marché Ocas, où ils sont ensuite transférés à Djanatou. »
Dans les environs de la mosquée, hommes et femmes portent des tenues qui couvrent intégralement leur corps, seuls leurs visages et leurs mains sont visibles, témoignant du profond respect des règles vestimentaires et du code de conduite en vigueur dans cette ville religieuse où la foi et la tradition sont omniprésentes.
Le Magal de Touba est la plus importante fête religieuse de la confrérie Mouride (musulmane) du Sénégal. Il commémore le départ en exil au Gabon du fondateur de la confrérie, Cheikh Ahmadou Bamba, en 1895. Il est célébré à Touba depuis 1928, l’année ayant suivi sa mort.